On attend souvent de la photographie, encore aujourd’hui, qu’elle atteste du réel,
qu’elle soit définition de quelque chose, qu’elle nous aide à circonscrire le monde,
telle une prothèse du discours. Les images aspirent ici à autre chose, expriment-expirent autrement, dans cet entredeux du réel qu’est l’imaginaire, l’affect, la projection.
Il est question de laisser planer le doute, l’ambiguïté, vertu de l’Asie, effroi des rationalistes.
Il s’agit de laisser regards et sensibles s’entremêler pour qu’une histoire, des histoires puissent émerger ici pour chacun(e). Les photographies sont des vues sur des fragments, des éclats de nos vies, nostalgie et tension mêlées.
C’est le chœur des photographies qui produit la narration, narration éclatée. Il apparaît comme un chemin intérieur. Les images sont émotives. Du réel surgit le mouvement confus et précis à la fois de l’évocation affective. Les photographies appellent le récit tout en empêchant sa clôture, elles attisent le regard tout en ne donnant pas la clé de cette tension. Des images qui parce qu’elles disent sans expliquer viennent soutenir la faculté imaginative. Au coeur de cette intention aveugle, le montage des images entre elles comme un choeur d’images, comme l’équivocité foncière de l’image – et son respect.
De plus en plus, lors des expositions, je joue avec les différentes surfaces photographiques, pour créer de nouveaux espaces de récits possibles. La vitrophanie notamment, m’apparaît comme une trouée dans l’espace du visible ordinaire, une trouée vers un imaginaire qui pourtant dialogue avec le présent, avec l’architecture. Coller des images au mur, grâce au dos bleu, intervient comme un écho à la fresque classique, où la photographie n’est plus cet objet précieux, ni pour autant simple affiche…
Diplômé d’architecture, Teddy Seguin se consacre à la photographie à la sortie de L’ENSP. Il réalise de nombreux reportages dans lesquels il explore de façon récurrente les univers clos et isolés, d’un navire de pêche en mer de Barents ou d’une mine d’uranium dans les steppes Kazakh. Ses sujets documentaires sont régulièrement publiés dans la presse nationale et internationale.
C’est en Corse où il a vécu plusieurs années qu’il observe la manière dont l’île peut façonner les tempéraments. Cet intérêt s’accroit lors de son séjour à Saint Pierre et Miquelon où sa recherche s’oriente sur l’insularité dans un territoire aux antipodes de l’île de beauté.
En Centrafrique, où il s’installe en 2006, ce questionnement se poursuit par ses reportages sur Les microcosmes des campements de chasseurs-cueilleurs pygmées en forêt équatoriale. Il y réalise également une commande pour le Monde Magazine sur les milices d’autodéfenses Peul dans le nord du pays.
A partir de 2010, il s’investie dans des séries personnelles sur l’insularité, qui devient le fil rouge de son travail avec le projet Insulae. Si les frontières qui séparent les “insulaires” du reste du monde se résorbent à l’ère du numérique, l’isolement qu’il soit géographique, social ou culturel façonne des caractères forts et singuliers sur lequel il s’attarde dans ces dernières séries comme Outport ou la Natividad. Insulae est un cycle en cours qui englobe ces différents travaux.
Photographe, critique d’art, commissaire d’expositions et historien de la photographie, j’ai publié plusieurs livres sur la photographie dont, avec Jean-Marie Baldner, Les Pratiques pauvres, du sténopé au téléphone mobile, CNDP / CRDP Créteil, Isthmes éditions) (2005), et, avec Christian Gattinoni, La photographie ancienne / La photographie moderne / La photographie contemporaine aux nouvelles éditions Scala. Chez le même éditeur, je prépare actuellement avec Xavier Martel La photographie japonaise (parution courant 2014).
Après vingt ans de pratique argentique que je poursuis désormais grâce au film instantané Fuji Instax, j’explore aussi les nouveaux territoires artistiques que proposent les téléphones mobiles et les sténopés numériques.